2011-02-18 – Révolution de Palet

Le Palet d’Or, connaissez ? C’est la boulangerie/patisserie la plus authentique du Vieux-Québec, installée dans l’édifice Livernois, à la jonction Garneau-côte de-la-Fabrique.

Un vrai de vrai atelier/boutique. Les cuisines en arrière, qu’on voit pas. Le comptoir en avant, qu’on voit et dans lequel on voit les délices du palais. Dans un coin, à côté de la vitrine, quelques petites tables rondes pour la dégustation de ceux qui veulent s’arrondir. La vraie vie de quartier. Un vrai de vrai commerce de proximité comme tout le monde les aime.

Eh bien voilà, il s’en va le Palet d’Or. Il quitte le Vieux-Québec dans quelques semaines. Et pour ajouter l’opprobre à l’injure, c’est à Ste-Foy qu’il s’en va.

Oh ! C’est pas par manque de succès qu’il s’en va. Meh non ! Bien au contraire. C’est parce qu’il a du succès qu’il est obligé de partir.

Un projet qui s’échafaude

Ça fait 22 ans que Martial Léonard et sa compagne Martine Duc ont démarré le Palet d’Or, là même où ils sont encore aujourd’hui. Ils font leur pain et leur beurre, pour ainsi dire, avec leurs clients réguliers, commerces, travailleurs et résidants du coin. Ils font leur profit avec les visiteurs et les touristes. Profit assez intéressants pour donner à l’ami Martial le goût de mieux s’installer et de s’agrandir. C’est le succès !

L’occasion ? Louis Laflamme, propriétaire de la plus belle boutique de vêtements du Vieux-Québec, satisfait de sa longue vie de commerçant, désire passer à autre chose. Il vend son commerce, mais pas à n’importe qui. Il va vendre uniquement à quelqu’un qui a le même sens du vêtement, de la qualité et du commerce que lui. Ça ne se trouve pas à tous les coins de rue. Louis Laflamme est un vendeur très critique de l’acheteur quand il s’agit non pas d’un veston mais du commerce lui-même. Il vend son propre nom, après tout.

C’est pourquoi en juillet dernier, l’acheteur raffiné souhaité ne s’étant pas encore présenté, il est ouvert à la proposition de Martial qui désire acheter son local pour y déménager ses pénates. Ils s’entendent sur le principe et notre pâtissier commence ses démarches avec la Ville, question d’obtenir les permis nécessaires.

Il en a un, permis, pour opérer dans son local actuel. Un seul, celui que ça lui avait pris il y a 22 ans, quand il avait enfanté sa pâtisserie. Mais il s’aperçoit vite que ça va être pas mal plus compliqué qu’il y a 22 ans.

D’accord, monsieur Léonard, pour votre permis de boulangerie-pâtisserie mais vous n’avez pas droit à plus de 10% de votre local consacré à la fabrication. Parce que voyez-vous, on ne veut pas d’industries dans le Vieux-Québec.

Une industrie, dites-vous ? C’est que moi, je n’ai qu’une pâtisserie, pas une usine à Joe-Louis !

Le règlement, c’est le règlement.

Bon, d’accord. Mais voyez-vous, 10% de 2000 pieds carrés, ça fait 200 pieds. Ma cuisine actuelle mesure 1000 pieds et mon magasin, 500. Ville, avez-vous une solution pour moi ?

Oui mon cher monsieur, vous pouvez demander un second permis, un permis d’épicerie pour le rez-de-chaussée et l’étage. Ça va vous permettre un maximum de 1000 pieds pour la fabrication. Soumettez-nous vos plans d’aménagement.

Alors notre entrepreneur soumet ses plans. C’est Boileau qui disait «cent fois sur le métier…». Martial Léonard a dû invoquer le nom de Boileau bien souvent parce que la Ville l’a renvoyé au moins trois fois à ses plans, exigeant chaque fois de réduire l’espace de fabrication au profit de l’espace épicerie. Les démarches se multiplient.

Mais je désire que mes clients puissent faire comme maintenant et consommer sur place. Je pourrais avoir un permis de «salon de thé» ?

Monsieur, ça n’existe pas un salon de thé à Québec. Il vous faut un permis de restaurant.

Oui mais c’est pas un restaurant chez moi. Je ne prépare pas de plats, je ne sers pas d’alcool, je ne cuis pas de steaks. Je n’ai que mes pâtisseries à vendre, des sandwiches et du café.

Alors mon cher monsieur, ce qu’il vous faut, c’est un permis supplémentaire pour un «espace de dégustation» et ça, c’est limité à 10% de la superficie du magasin – pas du commerce, du magasin.

Bon, ok, on y va. Je veux ce permis-là aussi.

Ça vous prend encore un autre permis, monsieur Léonard. Il vous faut un permis pour aménager une aire de préparation de nourriture, en «usage accessoire», à l’intérieur de votre magasin d’alimentation, de votre épicerie. Et n’oubliez pas, votre demande de permis doit être accompagnée de plans exacts, montrant où vous allez situer votre 10% d’espace de dégustation.

Quatre permis que ça me prend. Il me semble que ça va m’en prendre d’autres.

Oui monsieur Léonard, il vous en faut un cinquième pour la sortie d’air chaud de votre cuisine, un sixième pour l’enseigne sur la bâtisse, un septième pour pouvoir lettrer vos vitrines, un huitième pour installer un menu à la porte, un neuvième pour votre terrasse en été, un dixième pour votre auvent et le droit de lettrer votre auvent et enfin, dernier mais non moindre, le onzième, pour pouvoir installer votre enseigne en porte-à-faux, en saillie au dessus du trottoir.

Je les veux tous !

Et c’est ainsi que, ses relations avec la Ville étant désormais assurées avec bonheur et simplicité, notre ami entreprend d’acheter les locaux de Louis Laflamme. Il faut savoir que ces locaux constituent une des unités de condos de l’édifice les abritant.

Louis Laflamme et Martial Léonard s’entendent sur tout. Reste à signer chez le notaire. C’est prévu pour un bel après-midi de novembre. Tout baigne.

C’est à ce moment que les excréments frappent l’éventail.

Un projet qui s’effondre

Le matin même de la visite chez le notaire, atterrit sur le bureau de Martial un beau petit document légal. Un des membres du syndicat de copropriété s’oppose à l’arrivée d’une boulangerie dans la bâtisse. Les odeurs ! Les odeurs des Frères de la Côte et du Portofino l’encadrent déjà mais bon… Pas de cuisine commerciale, pas de tables de restaurant dans ma maison, c’est son diktat. Tiens, tiens, un résidant qui ne veut pas sentir les odeurs d’une boulangerie près de chez lui. La vraie vie de quartier, comme à Paris.

Un os, un vrai fémur de tyrannosaure. La transaction avorte.

Mais Martial n’est pas au bout de ses moyens. Il saute chez son ami Pierre-Ulric Biron, propriétaire de la quincaillerie L’Util, rue Garneau. Vous connaissez tous cette quincaillerie, la seule du quartier, celle où tous les résidants du Vieux-Québec, heureux d’encourager les commerces de proximité dont ils sont amoureux, se garochent à chaque fois qu’ils ont besoin d’une petite vis ou d’un gros clou.

Le problème d’Ulric, c’est que les résidants ne vivent pas selon leurs convictions, leurs convictions plus proclamées qu’assumées. Quand le besoin d’une vis se fait sentir, c’est leur vice Réno-Dépôt qui l’emporte. Et Ulric reste avec ses vis sur ses tablettes.

Alors Ulric ne fait pas ses frais. Après des années de soutien financier familial, faut bien trouver une solution, pour ne pas abuser de la famille. La solution ? Martial va s’établir dans les locaux de Louis Laflamme, comptoir, dégustation, préparation de pâtisserie, chocolaterie et confiserie, etc. mais installer ses fours à pain au sous-sol de la quincaillerie. Ça va rentabiliser les locaux de la quincaillerie. Ça va la sauver, en réalité. Et le Palet d’Or va contourner l’opposition au sein du syndicat de copropriété.

Eureka !

Retour au bureau des permis de la Ville. On est fin novembre, vous vous rappelez.

Monsieur, je puis avoir un permis pour production de boulangerie viennoiserie au sous-sol du 38 de la rue Garneau, dans le sous-sol de l’Util ?

Mais non monsieur, vous pouvez pas. Pas de transformation au sous-sol sans magasin au rez-de-chaussée.

Oui mais Pierre-Ulric, il vend des vis au rez-de-chaussée. C’est un magasin.

Monsieur, pas de blagues avec le règlement. C’est non. Et d’ailleurs, on veut pas d’industries dans le Vieux-Québec.

Grrrmmrrmmhhh !!!

Alors Martial, qui n’est pas au bout de sa corde, essaie de tirer des ficelles en haut lieu. Mais le temps presse. Pour financer son achat de l’espace de Louis Laflamme, il a vendu son local actuel et doit le livrer fin mai. Et il n’a pas encore de solution pour relocaliser son gagne-pain et celui de ses treize employés. Il espère que la ficelle va étrangler l’impasse qui s’est dressée devant lui au bureau des permis.

La ficelle en haut lieu flotte au vent et ne semble pas s’arrimer nulle part. À la mi-janvier, sans résultats concrets depuis deux mois qu’il a tiré sur ladite ficelle, Martial cesse d’espérer et cherche un plan B. Il le trouve à Ste-Foy où il signe un bail de dix ans.

C’est à ce moment que le CCVQ apprend ce qui se passe. Alerte ! On ne veut pas perdre le Palet d’Or. Plusieurs obstacles à abattre pour faire tourner le vent qui souffle vers Ste-Foy. On en abat quelques uns. Mais Martial Léonard, éreinté par les combats et l’incertitude, décide au bout de quelques jours de lâcher prise. Il va poursuivre son plan B.

La rage au cœur, le CCVQ s’incline. L’avoir su début janvier, plutôt qu’après la signature du bail…

Bilan

Le palet d’Or quitte. Le pâtissier quitte, perte immense, mais il y a un espoir. Tout ne serait peut-être pas perdu. Ses pains, gâteaux et pâtisseries, délicieux, seront peut-être encore en vente dans le Vieux-Québec, dans certains commerces des alentours de la côte de-la-Fabrique. Ça ne remplace pas la saveur de l’artisan sur place mais au moins, le palais du résidant pourrait encore savourer.

Louis Laflamme est encore là. Un jour il vendra, espérons à un opérateur qui continuera dans la même pratique de qualité. On veut des belles boutiques dans le Vieux-Québec, pas des T-shirt. En voilà une à vendre, bien installée, profitable et d’excellente réputation. Remarquez que Louis Laflamme compte sur les doigts d’une main ses clients résidants du Vieux-Québec. Les gens de Montcalm, Sillery, Ste-Foy, Cap-Rouge, Beauport, Montréal et Chicoutimi viennent acheter chez lui. Les résidants du Vieux-Québec, eux, ils vont acheter ailleurs…

L’Util ? À moins d’une solution d’ici quelques mois, la quincaillerie fermera. Pierre-Ulric Biron, dont la passion est la relation avec ses clients, la vie de quartier, ne conserverait que sa ferronnerie et vendra, comme bien d’autres, des belles choses et aussi des bebelles – faut bien vivre – à des clients de passage, qu’il ne connaît pas. La vie de quartier sortira de son magasin.

Et les résidants du Vieux-Québec se plaindront que les services de proximité disparaissent.

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