Respecter l’esprit du lieu

Benoît Bossé

Les séances de travail du Comité consultatif du Vieux-Québec–Cap-Blanc–Colline parlementaire et les consultations publiques qu’il a tenues, dans le cadre de la révision du plan directeur de quartier, ont mis en lumière les préoccupations toujours croissantes des citoyens du Vieux-Québec à l’égard de leur patrimoine.

Déjà, l’enquête menée à l’été 2005 faisait ressortir plusieurs éléments intéressants, notamment le fait que 48 % des répondants estiment que la préservation du patrimoine est un élément à améliorer alors que les attraits du quartier attirent, bon mal an, 2M de visiteurs.

Par ailleurs, vingt-deux grands événements s’y déroulent annuellement, dont onze totalement ou en partie dans le Vieux-Québec. Ainsi, sur les 90 jours s’échelonnant du 10 juin au 10 septembre, il y en a 83 où il se tient au moins une activité, un événement, un spectacle, un festival, etc.

Cet afflux toujours croissant de visiteurs et de festivaliers entraîne avec lui des problèmes d'accueil et de conservation qui, à la limite, pourraient menacer dans leur existence même certains de ces attraits historiques. En effet, les experts d’ICOMOS (Conseil international des monuments et des sites) en matière de patrimoine considèrent que la survie d'un site est menacée par la fréquentation et par les aménagements qu’il génère. À cet égard, un texte très intéressant, rédigé par Michèle Parts et Jean-Pierre Thibault, mérite d’être lu et résumé ici. Peut-on sortir du dilemme? Peut-on atteindre l’équilibre entre préservation et fréquentation? Peut-on parler de développement durable?

Pour répondre à ces questions, les mêmes experts prétendent qu’il faut d’abord trouver réponse aux deux questions suivantes : à quelle fin protège-t-on un site et qu’est-ce qui en fait le prix, la valeur?

Si la réponse à la première question semble évidente, celle concernant la seconde l’est beaucoup moins. ICOMOS parle alors de l’esprit du lieu qui pousse le visiteur à découvrir ou à revoir tel ou tel site. Nous entendons par « esprit du lieu » le caractère et le sens qu’un lieu de patrimoine s’est approprié avec le temps et qui, avant même d’être saisi et compris intellectuellement, est d’abord ressenti au plan émotif. Les Latins parlaient du genius loci, ce génie qui démontre qu’une chose existe ou qu’elle veut exister et avec lequel il vaut mieux être en harmonie.

Même difficile à cerner, c’est le respect de cet esprit du lieu qui doit dicter le choix de la capacité d’accueil, de l’importance et de la qualité des aménagements. Chaque site a son esprit. Il est la synthèse de ses différents éléments, matériels et immatériels qui contribuent à son identité et, en ce sens, il est unique. Il faut donc le préserver, le donner à voir et à sentir. L’esprit du lieu, c’est l’âme du site, sa raison d’être, la raison de sa survie.

« Toute gestion de site repose donc sur son identification et la valorisation même de celle-ci. A contrario, la perte d'identité, la banalisation et la surfréquentation signent l’arrêt de mort d’un site, aussi bien par les dégradations physiques qu’elles entraînent, que par la détérioration du confort, du plaisir ressenti, de l’émotion esthétique, de l'image, et de tout ce qui contribue à l’esprit du lieu ».

C’est ainsi que les auteurs concluent leur texte. C’est aussi une piste de réflexion que nous devons tous avoir à l’égard du patrimoine de notre quartier, citoyens, élus et fonctionnaires municipaux.

Ainsi, il nous faudra collectivement reprendre le boulot pour que les autobus touristiques soient définitivement chassés du Vieux-Québec : on nous l’avait pourtant promis pour 2002!

Il nous faudra discipliner les organisateurs d’événements, notamment ceux du Grand Rire, du Festival d’été et des Fêtes de la Nouvelle-France qui dénaturent la Place d’Youville, défigurent la Place Taschereau, transforment en mer de boue le Parc Montmorency, encombrent les trottoirs de leurs équipements, barrières et bannières de toutes sortes…

À cet égard, la 16e Assemblée générale d’ICOMOS qui aura lieu à Québec du 29 septembre au 4 octobre 2008 aura pour thème « Où se cache l’esprit du lieu? ». Pour s’y préparer, ICOMOS Canada tiendra un congrès à Montréal du 25 au 27 octobre 2007. Espérons que des élus et des fonctionnaires de la Ville de Québec non seulement y participeront, mais aussi sauront y trouver les outils et la volonté d’agir chez nous!

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