2013-09-27 – Hôtel-Dieu : la rupture et le défi

Le démembrement du plus vieil hôpital en Amérique du Nord. Voilà ce que le Gouvernement a annoncé hier.

On promet que l’Hôtel-Dieu survivra, doté d’une nouvelle mission axée sur les soins de longue durée. Mais l’élan de 375 années de l’hôpital est rompu net. Il sera beaucoup plus petit, privé de ses deux secteurs d’excellence, oncologie et néphrologie. Son centre de recherche de pointe quitte pour Limoilou. Sa nature est irrémédiablement amoindrie. De phare il se transforme en lanterne.

Le Vieux-Québec se fait arracher une partie de son patrimoine, de sa fierté. Et cette institution amoindrie ne sera plus la même source de résidants ni le moteur économique qu’elle est aujourd’hui. Un coup très dur.

Catastrophe ?

Non. Ce n’est pas la catastrophe. Si L’Hôtel-Dieu avait carrément quitté le Vieux-Québec pour Limoilou, comme certains mal avisés le souhaitaient, c’eût été la catastrophe.

Mais passer d’un hôpital de soins spécialisés hautement réputé de 300 lits à un hôpital de première ligne de 150 lits, perdre un centre de recherche de pointe et perdre plus de 1000 emplois constitue certainement un grand malheur.

Il n’appartient pas au CCVQ de juger de la qualité de la décision, de sa conformité aux critères fixés en mars dernier par le gouvernement. On constate néanmoins que les avis sont très partagés. Mais le CCVQ est hautement qualifié pour juger si la décision est bonne pour la vie socio-économique du quartier.

Elle ne l’est certainement pas.

Alors, il faut réagir, il faut compenser, rétablir l’équilibre rompu.

C’est ici que le Gouvernement du Québec doit intervenir. La Ville de Québec peut et doit agir mais c’est au Gouvernement que revient la plus grande responsabilité. Il faudra réussir sur plusieurs plans.

Conserver la fonction hospitalière

Faire en sorte que le maintien annoncé d’un hôpital dans le Vieux-Québec se réalise. Car rien n’est plus aléatoire et incertain que ce futur hôpital. Après tout, on stoppe net la rénovation de l’Hôtel-Dieu après y avoir investi 65 millions de dollars et débuté les travaux. Alors quelle garantie peut-on avoir qu’au moins deux élections plus tard et au moins deux ministres de la Santé plus tard, on voudra encore installer cet hôpital dans le VQ ?

D’un autre côté, on constate que la performance d’un hôpital de 150 lits dans une ville comptant des hôpitaux spécialisés d’envergure est handicapée en raison notamment de l’attrait qu’exercent ces grands hôpitaux sur le personnel médical. À preuve les difficultés de l’hôpital Chauveau, ici à Québec, dont l’urgence lutte avec d’importants problèmes. Dans dix ans, quand viendra le temps d’installer cet hôpital de 150 lits dans le Vieux-Québec, le ministre de la Santé d’alors aura-t-il la même volonté que celui d’aujourd’hui ?

Recréer tout un secteur du VQ

Favoriser l’éclosion et le développement harmonieux d’un quartier qui sera complètement bouleversé. Prenez connaissance de l’ampleur du campus de L’Hôtel-Dieu. Il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agit d’une entreprise presqu’aussi complexe que la reconstruction du centre-ville de Lac-Mégantic.

Au plan de l’urbanisme, l’ampleur du casse-tête est la même : comment calibrer et répartir les nouvelles vocations dans ce parc immobilier ? Au plan de la reconstruction, ce sera un chantier aussi important qu’à Mégantic, sauf que là-bas, on construit à neuf tandis qu’ici, on rénove. Au plan de la dépollution, par contre, c’est pas mal plus simple : il n’y aura que la radioactivité des salles de radio-oncologie à éliminer.

Statuer sur la tour de 1956

Tout le monde est d’accord. La construction de la tour de 1956 fut une erreur. Le projet de rénovation de L’Hôtel-Dieu corrigeait élégamment cette erreur en rhabillant la tour de brillante façon, en l’harmonisant à son milieu.

D’aucuns contestaient avec virulence sa hauteur, son volume, et l’ajout de la future tour, plus basse, qui devait la jouxter. Ils opinaient que le tout était trop gros pour le Vieux-Québec. Mais pourquoi un édifice institutionnel majeur serait-il trop gros pour le Vieux-Québec même s’il est plus petit qu’un certain édifice hôtelier du Vieux-Québec que personne ne voudrait éliminer ? L’institution quadri-centenaire devrait demeurer discrète quand l’édifice commercial a le droit de s’ériger au plus haut ?

Mais s’il s’avérait que cette tour ne devait plus faire partie de l’hôpital, qu’elle ne serait plus la prolongation de l’institution mais un simple édifice à bureau, pourquoi la conserver ? Qu’une noble institution émerge, domine même la trame urbaine du Vieux-Québec, on le conçoit plutôt bien. Mais qu’un édifice à bureau fasse de même se conçoit moins aisément.

Par contre, éliminer la tour, même si c’est souhaitable aux plans architectural et patrimonial, diminuerait certainement la capacité d’accueil d’emplois et donc l’achalandage commercial du quartier. Dilemme.

La tronquer de moitié serait peut-être solution élégante. La rhabiller, peu importe sa hauteur future, est un impératif.

Conserver le potentiel résidentiel

Il est facile de dire qu’on va construire des condos dans certains édifices désertés par l’hôpital.

Mais veut-on des condos ou du locatif ? Ou un mélange des deux ? Ou du coopératif ? Quelles tailles d’appartements faut-il ? Quelle clientèle vise-t-on ? Le départ de l’Hôtel-Dieu va causer un changement socio-économique important dans le secteur. Beaucoup de médecins et la totalité des chercheurs vont désormais travailler loin du VQ.

Le personnel de L’HDQ se compose actuellement de 1584 employés à temps plein, de 837 employés à temps partiel et de 200 médecins, soit 2621 personnes, auxquelles s’ajoutent 50 chercheurs et 150 étudiants (200 durant l’été) au sein des centres de recherche. Enfin, 500 visiteurs entrent et sortent de L’HDQ chaque jour. En somme, une circulation quotidienne de plus de 3300 personnes.

Le gouvernement annonce que 1500 personnes vont travailler sur les lieux, une fois les transformations complétées. Ajoutons environ 200 visiteurs par jour au petit hôpital. Ça fait 1700 personnes. 51% de ce qu’on a aujourd’hui.

Or le vrai problème, ce n’est pas la disponibilité d’appartements, condos ou locatifs, dans le Vieux-Québec. Le quartier a perdu 450 résidants de 2006 à 2011. Il y a donc des appartements vides. Le vrai problème, c’est le recrutement de résidants et l’appariement des types d’appartements aux besoins des candidats-résidants. Alors, on peut bien dire qu’on va construire des appartements dans certains des immeubles libérés mais il y a bien des éléments sur lesquels il faut réfléchir en amont.

L’activité économique, les chercheurs d’appartement et les parents d’élèves pour les deux écoles du Vieux-Québec vont certainement diminuer.

Gérer la période de latence

Entre le départ de l’hôpital actuel et le réaménagement de tout le campus pour accueillir le nouvel hôpital et les autres bureaux/condos/appartements/etc. qu’on va y aménager, il va se passer un bon sept ans. Sept ans de vaches maigres au cours desquelles les commerces du secteur vont pâtir, certains mourir. Et surtout, sept ans de vaches maigres se transformant, dans le monde scolaire, en au moins douze années, ce qui peut signifier d’importantes difficultés de recrutement pour L’École des Ursulines et le Petit Séminaire – récemment renommé Collège François de Laval.

Réhabiliter le patrimoine du secteur

La rénovation de L’Hôtel-Dieu permettait de rétablir la trame urbaine complètement déstructurée de l’intersection côte du-Palais / rue des Remparts / côte Dinan, un vrai repoussoir à piétons. Elle jetait les bases du rétablissement du circuit de ceinture des fortifications, rompu par la démolition de la porte du Palais. Elle transformait et embellissait les édifices récents de l’hôpital, notamment la malencontreuse architecture de l’actuelle urgence. Enfin, tel que dit plus haut, elle permettait une intégration harmonieuse de la tour de 1956 au bâti patrimonial.

Ces objectifs, corollaires à celui de la rénovation maintenant abandonné, ne doivent pas être relégués aux oubliettes.

Somme toute

Un défi de taille pour le Gouvernement. Le CCVQ, acteur positif et optimiste, croit que ce défi peut être relevé.

Pour cela, il ne se contentera pas d’être spectateur.

Car rien n’est assuré.

Ça prend de l’intelligence pour conjurer le malheur. Or, force est de le constater, malheur il y a. Et le malheur peut toujours encore se muer en catastrophe.

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