Moi, votre chroniqueur, je constate que rares sont ceux qui désirent habiter le Vieux-Quebec. Quand on pose la question, les arguments négatifs pleuvent. Pas de stationnement, trop peu d’enfants, coût des maisons, condos ou appartements exorbitants, services inexistants, cohue en été, trop de touristes, etc. À (trop) les écouter, je me demande parfois : « Cou’donc, pourquoi j’aime ça, moi, habiter dans l’Vieux? »
On doit certainement être des marginaux, me dis-je. Ouais, c’est sûrement comme ça qu’on est perçus ! Une gang de capotés qui aiment se compliquer la vie. Ben oui, pis accueillants avec ça. On reçoit environ quatre millions de visiteurs par année. Le ratio complètement inutile mais amusant est de 1000 invités par résidant annuellement. On est 4786 amoureux qui avons dit OUI au plus beau quartier au monde, pour le meilleur et pour le pire.
Moi j’ai grandi ici. J’y habite depuis l’âge de 7 ans dans la même maison sur la rue des Grisons. Je me souviens encore de ma première journée dans le Vieux-Québec. Coup de foudre ! J’ai fait le tour du pâté de maisons, j’ai croisé des gens avec de grosses valises qui parlaient une langue qui m’était totalement inconnue. J’ai vu une rivière qui m’a fait comprendre le sens du mot fleuve. J’ai vu un grand champ verdoyant, et je me suis dit : « Ca doit être la seule plaine tondue au monde ». Puis juste au coin, une vieille dame entrait dans une maison. Elle, c’est sûrement ma voisine.
Alors, moi aussi j’ai dit OUI. « Wow! Je t’aime mon Vieux! » Ça c’était en 1977. Sans trop m’en rendre compte je me suis tranquillement attaché à mon voisinage. J’allais parfois marcher juste pour en croiser quelques-uns dans la foule touristique. Je m’amusais à m’inventer leur histoire de vie. J’ai compris que le Vieux-Québec est habité par des gens extraordinaires, des résidants que l’on croise souvent sans savoir pourquoi ils sont ici depuis toujours ou depuis y’a pas si longtemps.
Alors nous y voilà. Je réalise enfin un vieux rêve d’enfance… je vais en rencontrer quelques uns, question de passer une heure ou deux avec eux et de vous les présenter, puisque le rêve précède la réalité !
…un inconditionnel résidant du Vieux-Québec. Il en est définitivement amoureux. Étonnamment jeune pour être co-propriétaire d’un restaurant pas très loin de chez-vous. Qui est-il?
Originaire de St-Antoine-de-Tilly, Nicolas habite ici depuis huit ans, « dans le Petit-Champlain juste à coté du parc Félix Leclerc » précise-t-il fièrement, grand sourire à l’appui. (Son ton de voix me renverse, il est de toute évidence un mordu de son quartier).
Il me dit venir de la campagne et qu’il ne pensait jamais déménager en ville. Mais à l’âge de 20 ans il devient voiturier du restaurant. Il doit se taper 60 kilomètres par jour pour venir travailler, ça l’épuise, il en a marre. Pas du resto mais de la route à faire. Alors il fait le grand saut, il emménage dans le coin, « juste à coté du parc Félix-Leclerc. Je ne voulais pas d’un condo à Ste-Foy ou ailleurs ». Il s’est déniché un chez-soi au bas du Cap Diamant et se dit nullement dépaysé puisqu’il a fenêtre sur ce charmant petit parc avec ses deux gros arbres qui lui rappelle sa campagne natale.
Son chez-soi, il le loue puisque dans le Petit-Champlain les résidants ne peuvent pas devenir propriétaires. C’est la Coopérative qui en a décidé ainsi, et pour lui c’est tant mieux. Mais le voiturier n’a que 20 ans et il est ambitieux. « J’ai fait tous les échelons. Après valet parking, j’ai été commis-débarrasseur, puis j’ai fait la suite (la suite étant la personne qui fait le lien entre la cuisine et la salle à manger du restaurant), puis on m’a enseigné à faire les flambées à la table puisque c’est un service au guéridon. C’est Alberto qui m’a légué son savoir faire. Il a été, à mes yeux, le meilleur professeur dans cet art culinaire ».
Le guéridon, Nicolas l’a fait pendant quatre ou cinq ans. Puis ses ambitions portent fruit. Le propriétaire du restaurant à l’époque, André Sgobba, lui offre la gérance d’un restaurant attenant. Un autre grand saut, il plonge et accepte. Il est comblé et heureux. Puis vient l’inattendu : les deux restos en question sont à vendre, pourquoi ne pas les acheter ? Deux collègues semblent aussi intéressés. Ils réunissent leurs économies et, à trois, deviennent propriétaires en 2009. Bon, ok, c’est vrai que le rêve précède la réalité !
Depuis, il s’est fossilisé dans le Vieux-Québec. Très peu de chance donc, de le croiser ailleurs. Il n’en sort que très rarement. À se demander pourquoi… « Il y a tellement de paysages extraordinaires ici. Tous ces parcs ou il fait bon s’asseoir, prendre le temps de voir le fleuve, les points de vue sont innombrables ici, et les canons le savent Je les regarde et j’essaie de m’imaginer quel était leur point de mire? Sur quoi ils tiraient, eux autres? » J’ai éclaté de rire. À ce moment précis j’ai su que je n’étais plus le seul. Quand j’étais enfant, j’ai maintes fois mis ma tête sur le côté d’un canon, fermé un œil en essayant de m’imaginer où son boulet pouvait atterrir. J’ai cessé mon stratagème depuis longtemps, mais j’ai presque envie d’aller prendre une marche avec Nicolas pour qu’on fasse la tournée de nos canons ensemble. Si tu me lis, l’invitation est lancée !
À brûle-pourpoint me vint alors une question…
« Un p’tit peu » dit-il. « Sur la rue du Petit-Champlain on est 37 résidants, alors on se croise, oui, mais de là à dire que je les connais, pas vraiment. J’habite la rue la plus piétonnière du Vieux-Québec alors on se perd souvent dans la masse ». Donc dans cette foule habitent de parfaits inconnus…
Mais il y a une semaine, Nicolas a fait son premier tour de calèche. Avec une voisine qui en était à sa première expérience aussi ! On a si rarement vu des résidants en calèche. Le cocher n’a pas osé ruiner ce moment magique, il ne leur a pas crié l’histoire réinventée du Vieux-Québec. Le silence est d’or. Le repos est doux…
Et l’endroit le plus reposant pour toi ici? « La piscine du Château Frontenac, avec sa terrasse extérieure en été, il y a aussi son terrain de pétanque entouré d’arbres. Et quelle magnifique vue sur le consulat de France et le quartier ! C’est là que je décroche, je me sens presque en vacances ! »
Et le moins reposant alors? Il m’avoue que c’est probablement en face de chez lui pendant les Fêtes de la Nouvelle-France. « Malgré cela, y’a rien qui va me faire déménager du Vieux-Québec ! »
« Encore mieux ! » dit-il. « Je me vois vraiment fonder une famille ici. Il y a une formidable école, les Ursulines, juste à côté. On ne peut pas offrir à ses enfants un environnement aussi stimulant ! Il y a ici de la couleur, de la vie, de l’histoire… On a juste à ouvrir la porte et on est dedans ! »
Oui! Oui! Oui! Pour un enfant, grandir dans le Vieux-Québec est un rêve qui se réalise !
Tiens! J’vais lui voler une dernière tranche de sa vie avant de lui souhaiter bon voyage… (Eh oui, on n’aura pas la chance de le croiser ici pendant 10 jours, il part en voyage au Japon et en Corée, son premier vol outre-mer, dépaysement total !)
Il se lève à 10h30, il prend le funiculaire, direction boulot. « Le monsieur du funiculaire m’informe tous les matins de la météo et des nouvelles du jour, il a lu les journaux pour moi ! », puis il dîne et soupe au boulot, dans son resto : « j’ai pas le choix, je travaille toute la journée ici, mais je fais vraiment pas pitié, c’est le meilleur endroit pour manger! »
Et une petite dernière pour la route : « Si tu avais à quitter le Vieux-Québec pour une raison ou une autre, qu’aimerais-tu lui léguer? » Et sans aucune hésitation, de répondre : « Donner une plus grande tolérance aux résidants du Vieux-Québec. On devient trop rapidement chiâleux… aussitôt qu’il y a un événement qui dérange notre train-train quotidien les gens se plaignent. Il faudrait réaliser que ça fait partie de la vie dans ce quartier. Sinon déménageons tous à St-Antoine-de-Tilly; là on sera pas dérangés je vous le promets ! »
Il est co-propriétaire du restaurant le Continental et du Conti Caffe, notre voisin de tous les jours, Nicolas Rousseau.
Francis McKenzie