Louis Germain
Vendredi soir. 22h. La bouteille de vin est presque vide, le ventre presque plein. Sur la table, la flamme de la chandelle est gaillarde. Au diable la vaisselle, on sort dehors, fait trop beau.
-27°. Pas de vent. L’air est sec, vif. La rue blanche, propre, hospitalière. La neige grince sous les pas. Fait même pas froid. C’est grisant. Les effluves de l’Arctique, quelle drogue extraordinaire !
Pas de voitures sur les rues. Personne. On compte les piétons sur les doigts de la main – quand on en voit. Le froid a mauvaise réputation. L’hiver aussi d’ailleurs. C’est pas de leur faute, ça fait quarante ans que les animateurs d’émissions matinales à la radio les calomnient. Faudrait demander à Guy Bertrand de monter un recours collectif contre les morning men et le calcium, pour atteinte à la réputation des flocons de neige.
Parc des gouverneurs, terrasse Dufferin. Tiens, quand même pas beaucoup de glace sur le fleuve malgré le froid tenace. Dire que l’autre jour, les traversiers ont été entraînés par un bataillon compact de glaçons.
Au bout de la terrasse Dufferin, le monument de Champlain…
Choc !
Le monument est assailli par les roulottes de chantier du Red Bull. Une en plein devant le socle, trois autres tout à côté. Des barrières partout sur le parvis. L’enchevêtrement d’échafaudages du tremplin de la piste sur la gauche. La Place à la gloire de Champlain, notre fondateur, utilisée comme base de chantier ! Le charme est rompu.
C’est ça la carte postale ?
Le Red Bull Crashed Ice, clament Régis Labeaume et Pierre Labrie, c’est pour envoyer au monde une magnifique carte postale de Québec. Mais pour deux heures de carte postale télévision pour des gens qui ne sont pas ici, on gâche pendant cinq semaines la carte postale pour les gens qui sont ici. Pendant ces cinq semaines, pas un seul visiteur qui soit à Québec ne peut contempler ni photographier le monument du père de la civilisation européenne en Amérique du nord autrement qu’encombré d’installations de chantier ? Les américains feraient-ils cet affront au monument d’Abraham Lincoln, ou de George Washington ? Jamais !
Combien de touristes, de visiteurs, de commerçants et de résidants déçus ? Beaucoup.
Si jamais, en 2012 ou 2013, le Red Bull devait revenir dans la côte de la Montagne – car en 2010 et 2011, on a bien averti qu’il fallait qu’il aille jouer ailleurs – , il est impérieux qu’on localise tout ce bataclan ailleurs. Le monument de Champlain mérite du respect. Clairement, on ne lui en accorde aucun.
La Place d’Armes, le parc Montmorency, la fresque des Québécois, hors d’usage aussi, hors de vue, arrachés de la carte postale, tout comme Place Royale et l’ensemble du parcours. Et ce pendant presque 10% de l’année.
Ça fait cher, pas mal cher pour une carte postale. Trop cher. D’autant plus qu’on peut se poser la question : à qui ça profite vraiment ? Qui retire le plus de visibilité et de bénéfice de cette opération ? Québec ou Red Bull ? Québec ne serait-t-elle pas en train de lâcher la proie pour l’ombre ?
Faut réduire le coût de la carte postale. Et pour ça, il faut sinon éliminer le Red Bull du moins le déménager ailleurs, pas loin de là mais pas là. Il y a des gens qui planchent sur des alternatives. Mais le maire ne veut pas les entendre…
Va falloir parler aux gens parlables.
Le reste de la marche était magnifique. On est rentrés chez nous et on a pris un autre verre de vin. La vaisselle, bof… demain.